Le Nouveau Réalisme

Le Nouveau Réalisme est un mouvement qui trouve ses origines dans l'histoire de l'art du XX^e siècle, mais aussi dans l'évolution de la société d'après-guerre. Si depuis la Renaissance, l'objet trouve sa place dans l'art grâce aux natures mortes, le XX^e siècle franchit une étape décisive en introduisant "réellement" l'objet dans l’œuvre.

Dès 1912, le cubiste Picasso introduit un bout de toile cirée et une corde dans sa Nature morte à la chaise cannée. En 1913, Marcel Duchamp par une simple signature transforme l'objet manufacturé "ready-made" en œuvre d'art. Les surréalistes à leur tour repensent la sculpture en utilisant les objets pour des collages inattendus et provenant de réalités différentes. L'exposition "Tous Léger!" du musée du Luxembourg du printemps 2025, a par ailleurs mis en lumière l'influence qu'a pu avoir Fernand Léger, qui accorde une place privilégiée aux objets dans sa peinture, sur les nouveaux réalistes.

Le Nouveau Réalisme naît aussi du bouillonnement artistique que connaît la région niçoise à partir des années 50, qu'on appelle parfois École de Nice - et dont sont originaires Arman, Yves Klein et Martial Raysse -, et se positionne en opposition à l'abstraction de la Nouvelle École de Paris et à l'expressionnisme abstrait qui se développe dans les années 1950-1960 aux États-Unis.

Le contexte d'après-guerre, marqué par la reconstruction, la production industrielle, l'essor de la publicité ou du marketing, favorise le développement d'une société de consommation : les objets envahissent le quotidien et deviennent pour les nouveaux réalistes, à la fois matière première et sujet de critique sociale.

Alors qu'aux États-Unis, c'est le Pop Art qui émerge, en France, le Nouveau Réalisme apparaît. Comme le Pop Art, le Nouveau Réalisme prône un retour au réel ; cependant, il ne cherche pas à le représenter, mais à le "présenter".

L'émulation entre des artistes comme Yves Klein, Arman, Jean Tinguely, Raymond Hains, etc. existe déjà depuis le milieu des années 50, mais c'est avec une première exposition collective en mai 1960, que Pierre Restany, critique d'art, baptise le mouvement des Nouveaux Réalistes. Quelques mois plus tard, avec la signature de la déclaration constitutive du Nouveau Réalisme, le mouvement devient officiel :

"Le jeudi 27 octobre 1960 les nouveaux réalistes ont pris conscience de leur singularité collective
Nouveau Réalisme = nouvelles approches perceptives du réel"

Elle est signée chez Yves Klein, par Pierre Restany, Raymond Hains, Jean Tinguely, Arman, Yves Klein, Martial Raysse, Daniel Spoerri, François Dufrêne. Jacques Villeglé. Ils seront ensuite rejoints par César, Niki de Saint Phalle, Mommo Rotella, Gérard Deschamps, Christo et Jeanne-Claude, etc.

Le groupe ainsi constitué est un groupe hétérogène, sans véritable consensus esthétique. Ils se retrouvent cependant autour d'objectifs communs :

• Révéler la beauté du réel, du quotidien, de la ville, grâce à une appropriation directe du réel. Pierre Restany parle de "recyclage poétique du réel urbain, industriel, publicitaire".
• Proposer une critique de la société de consommation, mais aussi une critique du tableau classique ou de la peinture de chevalet.

Inspirés par mouvement réaliste du XIXe siècle, qui souhaitait peindre la réalité, la vie quotidienne sans la magnifier, les nouveaux réalistes inventent de nouvelles formes qui leur permettent de dégager une "singularité collective". Ils mènent un travail collectif de 1960 à 1963, puis continuent individuellement leurs réflexion et production.

• Utilisation d'objets du quotidien jetés, oubliés ou délaissés, issus en profusion de la société de consommation.
• Utilisation de matériaux de récupération.
• Utilisation de l'objet comme matériau.
• Rejet des matériaux dits "nobles", comme la pierre ou le bronze.
• Techniques de l'assemblage ou de l'accumulation, de l'appropriation et du détournement, ou encore de l'emballage ou de l'empaquetage.
• Techniques qui se rapprochent parfois du bricolage, du recyclage ou de l'industrie.
• Gestes radicaux comme déchirer, briser, lacérer, compresser, piéger, assembler, exploser, etc.

• Yves Klein, célèbre pour ses Monochromes, ses Anthropométries et sa technique des "pinceaux vivants" ou encore ses Peintures de feu, il sera à l'origine du mouvement qui disparaitra en quelque sorte à sa mort.
• Arman : on connaît ses Accumulations, mais il produit d'autres séries telles que Poubelles, Coupes ou Colères, où il exerce sa rage contre des objets ménagers ou des instruments de musique.
• Jean Tinguely est le deuxième époux de Niki de Saint Phalle, avec qui il réalise de nombreuses œuvres communes, comme la Fontaine Stravinsky à Paris ou Le Cyclop à Milly-la-Forêt. Il est particulièrement connu pour ses sculptures animées ou Méta Matics.
• Martial Raysse, contrairement à ses condisciples, aime le neuf et déclare « Les Prisunic sont les nouveaux musées de l’art moderne ».
• Jacques Villeglé, Raymond Hains, François Dufrêne et Mimmo Rotella sont tous les quatre affichistes : les affiches lacérées, les lambeaux de palissades qu'ils collectent lors d'expéditions nocturnes, sont des témoignages de la société de consommation et de la réalité urbaine. Pour Jacques Villeglé, en arpentant les rues, "c'est toute la ville qui se transforme en musée". 
• Daniel Spoerri invente le "tableau-piège" : en passant de l'horizontal à la verticale des tables de repas, des étals de marchés aux puces, le fond d'un tiroir ou d'une boîte, il propose une critique de la peinture classique et donne un nouveau sens à des objets du quotidien.
• César est évidemment connu pour ses compressions, dont la plus célèbre récompense les professionnels du septième art. Des Expansions, Empreintes humaines et Fers d'animaux imaginaires complètent son œuvre.
• Niki de Saint Phalle : ce sont ces Tirs, tableaux surprises dans lesquels de nombreux objets sont dissimulés, qui la font rejoindre les Nouveaux Réalistes. Ses Mariées, son Monstre de Choisy regorgent également de multiples objets symboliques.
• Gérard Deschamps récupère et travaille les tissus, les chiffons, les dessous féminins.
• Christo et Jeanne-Claude commencent par empaqueter toute sorte d'objets à portée de main, puis emballent en grand et de manière éphémère (le Pont Neuf à Paris ou le Reichstag à Berlin par exemple).