L'enseignement de spécialité théâtre en classe de terminale prend appui sur un programme limitatif qui comporte deux questions renouvelables par moitié tous les ans. La nouvelle question retenue pour 2022-2023 concerne La Tragédie de Richard III de William Shakespeare et s'appuie sur les mises en scènes de Thomas Ostermeier et de Thomas Jolly.

Richard III est la dernière pièce historique de la tétralogie de William Shakespeare qui raconte la Guerre des Deux-Roses. Cette tétralogie est formée par Henri VI (3 pièces) et Richard III.

La guerre des Deux-Roses s'est déroulée en Angleterre de 1455 à 1485. C'est une guerre fratricide qui oppose les Lancastre (dont l'emblème est la rose rouge) aux York (dont l'emblème est une rose blanche), ils combattent pour la conquête du trône. La guerre cesse en 1485, quand Henri Tudor apparenté aux deux familles prend le pouvoir.

Cet aspect historique est un élément important pour Thomas Jolly qui, avant Richard III en 2015, a monté l'intégralité d'Henry VI au Festival d’Avignon en 2014, avec dix-huit heures de spectacle.
Tout d'abord, il propose de nombreuses références à Henry VI dans son Richard III, qui permettent au spectateur de lui rappeler ce qu'il s'est passé précédemment dans Henry VI, à la façon des "préviously" des séries télévisées et qui replacent Richard III dans l'histoire de l'Angleterre :

  • des vidéos du spectacle précédent, en noir et blanc ;
  • des photos de familles géantes qui permettent au spectateur de resituer les deux clans qui se sont affrontés lors de la guerre des Deux-Roses. La plupart des personnages de Richard III étaient présents dans Henry VI et la distribution a été conservée ;
  • l'arbre généalogique commenté et expliqué par Mortimer, oncle du duc d'York ;
  • les spectres du roi Henry VI et de son fils Édouard, assassinés tous deux à la fin d’Henry VI apparaissent et là encore la distribution est logiquement conservée.

Shakespeare met en scène, certes très librement, des événements qui ont construits l'histoire de l'Angleterre.
Le tableau de Paul Delaroche analysé sur le site Panorama de l'art (ci-dessous) représente les deux enfants d'Édouard IV, roi d'Angleterre. Lorsque celui-ci meurt, son frère Richard devient le tuteur des deux garçons (Édouard V, roi mineur, et son frère), qui disparaissent dans des circonstances mystérieuses, peut-être assassinés par leur oncle qui devient alors roi d'Angleterre sous le nom de Richard III.

On retrouve cet épisode important dans la pièce Richard III : Si Thomas Jolly a souhaité que les enfants soient interprétés par de vrais enfants, Thomas Ostermeier, de son côté, fait le choix de marionnettes qui annoncent la mort des enfants. En effet, celles-ci ne s'animent que grâce à leurs manipulateurs.

On notera chez Thomas Jolly d'autres références à la Guerre des Deux-Roses :

  • De véritables scènes de bataille ;
  • un jeu sur les couleurs et les lumières : blanc et rouge, en référence aux deux roses. Par exemple les projecteurs blancs et rouges qui permettent de figurer les deux camps lors de la bataille de Bosworth, ou encore le costume rouge et blanc de Richard III couronné.

L'aspect historique est moins présent dans la mise en scène de Thomas Ostermeier :

"Nous avons étudié le contexte historique et nous avons voulu le rendre lisible dans notre travail malgré la complexité familiale et politique de cette histoire. Mais au cœur de notre travail sur Richard III, nous nous sommes vraiment attelés aux deux sujets qui nous paraissaient les plus importants : le pouvoir et le désir."

Bible Richard III, Théâtre de l'Europe - Théâtre de l'Odéon, juin 2017

Les deux Thomas nous proposent deux Richard physiquement très différents.

Thomas Jolly a cherché à faire ressortir l'animalité du personnage, quand Thomas Ostermeier appuie plutôt sur son infirmité.

Thomas Jolly a fait appel à Sylvain Wavrant pour son costume. Sylvain Wavrant est plasticien, taxidermiste, styliste, qui travaille sur l'animal, le végétal et le minéral. Les "bosses" de Richard sont ainsi composées de plumes d'oiseaux, de poils de sangliers (le sanglier albinos est l'emblème de Richard III), de becs et pattes d'oiseaux, et forment des pièces particulièrement belles qui participent à la volonté de Thomas Jolly d'embellir son personnage pour en faire un homme de pouvoir mais aussi surtout un séducteur.

Acte I scène 2
« Sur moi, qui boite, et suis si contrefait ? »
« Je veux faire la dépense d'un miroir,
et entretenir une vingtaine ou deux de tailleurs
pour étudier les modes qui embelliront mon corps !»

L'animalité de Richard devient flagrante et assumée avec l'épisode du concert du couronnement, dont la chanson reprend précisément des passages de la pièce :

I am a dog - Je suis un chien
I am a toad - je suis un crapaud
I am a hedgehog - je suis un hérisson
A foul stigmatic Lizard’dreadful stings Un horrible lézard stigmatique piqûre,
I am a dog - je suis un chien
I am a toad - je suis un crapaud
I am a hedgehog - je suis un hérisson
A bottled spider - Une araignée en bouteille
I am a monster - Je suis un monstre

Voir la vidéo de Thomas Jolly parlant de son personnage de Richard III.

Lars Eidinger, qui joue le rôle de Richard dans la pièce d'Ostermeier, grand homme athlétique et populaire en Allemagne est métamorphosé pour devenir un infirme, laid et difforme : son costume est composé de prothèses, corset, minerve.

Lars accentue son boitement en enveloppant sa chaussure d’un épais papier adhésif noir qui grossit et alourdit sa chaussure. Il a également longuement entravé les mouvements d'une de ses mains au point d'en être presque réellement paralysé. Il porte des bagues sur ses dents, sa bosse est noire et bien visible comme pour affirmer et montrer sa monstruosité. Lars incarne un bouffon triste et et méchant, mais aussi drôle qui cherche lui aussi à séduire.

Écouter Lars Eidinger parler de son rôle sur France Culture.

"Je voulais comprendre comment Richard peut séduire les spectateurs alors qu’il se présente avec franchise et sans artifices comme un homme aux actes particulièrement noirs. Il est un diable avec qui cependant le public peut pactiser." Thomas Ostermeier

L'intimité entre la scène et le public est un élément cher à Thomas Ostermeier :

"Je veux un jeu« vrai », dans une grande intimité."

Plusieurs éléments permettent de créer cette intimité :

  • Tout d'abord, le micro-caméra suspendu à un câble de manière permanente : par la caméra, Richard se dévoile au public "en gros plan", par le micro il murmure, en aparté, et se confie au public, se confesse.
  • Ensuite, la capacité de Lars Eidinger à interagir avec le public et à improviser en fonction des réactions de celui-ci : Lars est un acteur très populaire en Allemagne, il déploie beaucoup d'humour sur scène. Le public est vite conquis, séduit, et manipulé devient complice du monstre.
  • Enfin, la scénographie s'inspire du théâtre élisabéthain (scène circulaire, avancée de la scène dans le public, balcon ici passerelle métallique, porte en fond de scène) et favorise une communication directe entre la scène et le public.

Chez Thomas Jolly, les occasions de prendre à partie le public sont nombreuses et elles permettent petit-à-petit de le rendre complice de la prise de pouvoir de Richard.

  • la pièce s'ouvre par un monologue de Richard III, issu de la pièce Henry VI, dans lequel il confesse ses souffrances au public, et cherche à susciter sa compassion.
  • le rôle du public est particulièrement marquant dans la scène du maire : il est invité à agir, crier, applaudir ; les spectateurs sont devenus des citoyens et font partie de l'histoire. (voir page 20 et 21 du dossier Pièce(s) démontées).
  • Thomas Jolly reprend lui aussi les codes du théâtre élisabéthain (balcon, avancée de la scène dans le public, trappe, etc.)

Les deux metteurs en scène choisissent l'un et l'autre de faire de leur Richard des Rock Stars, qui embarquent leur public. Lars Eidinger interprète deux chansons empruntées à des chanteurs américain et anglais. Thomas Jolly quant à lui interprète une chanson composée par Clément Mirguet à partir du texte de Shakespeare. Comme dans les concerts de rock, il interpelle son public "Are you still with me" et l'invite à reprendre le refrain avec lui. Le public est régulièrement debout, applaudit, chante et danse avec Richard...

Il est définitivement complice.

  • Pour les enseignants, un dossier très complet est proposé sur la plateforme Théâtre en Acte du réseau Canopé proposant des extraits, des captations des deux mises en scène, des comparaisons, des analyses, des pistes de travail, etc. Le site est accessible avec des comptes "classe" ou "enseignant". 
  • Des vidéos d'entretien avec Thomas Jolly sur le site Théâtre-contemporain.net autour de Richard III.
  • Dialogue artistes-spectateurs autour de "Richard III" avec Thomas Ostermeier sur le site Théâtre-contemporain.net (Avignon 2016).
  • Le théâtre à la table ("Pas de décors, ni de costumes, une table, des chaises – jusque-là, c’est simple – et l’art clair mais complexe de la lecture.") par la troupe de la Comédie-Française : La Tragédie de Richard III
  • Un parcours thématique proposé par l'INA "Mettre en scène et jouer Shakespeare".